La lune; l'astre maitresse de la nuit, la gouvernante des ténèbres. Depuis déjà plusieurs heures, la luminaire aux rayons translucides prônait à l'apogée d'un firmament clair et sans nuage, révélant ses plus douces et candides facettes. Ses longs doigts opalescents venaient caresser le paysage, comme un peintre habile pouvait sculpter la volupté en noir et blanc; toutes couleurs semblaient avoir prit la fuite, comme étouffées par ce contraste doucereux et sirupeux. Le silence, jumeau du mystère, avait rejoint sa douce amante pour cette sorgue aux allures de retrouvailles grisantes et envoûtantes. Et c'est là, sous cette réunion tacite des soupirants s’étreignant à l'éternité, que la jeune femme s’époumonait, courant à en perdre haleine au travers du dédale que la forêt lui offrait. Son terrain de jeu s'étendait à perte de vue, l'appel de la nuit la couvant; elle n'avait put résister à sa soif de liberté. Eáránë se sentait revivre en cet instant de grâce et de félicité que sa complice de toujours lui accordait; à la peau aussi blanche l'une que l'autre, les deux femmes se ressemblaient car la première avait vu la naissance de la seconde il y avait de cela des années, et semblant pleurer pour le nourrisson lors de cette nuit d'été; la princesse née sur terre reçu son prénom en hommage à la reine de l'empyrée.
Pressant le pas, elle sentait la brise s’entremêlant à sa chevelure de jais et les hautes fougères fouettant ses jambes; l'humidité ambiante faisait coller le tissu de ses jupons sur sa peau d’albâtre. Mais tout ça lui était égal, toutes ces sensations étaient sa bouffée d'air frais, sa fontaine d'ivresse dans son monde trop réglementé et codé. A son retour, elle pouvait s'estimer chanceuse si elle ne se faisait réprimander que par sa suivante et son compagnon de toujours. La jeune femme afficha alors un rictus étrange qui étira ses lèvres pâles avec délicatesse, barrant son visage, le pourfendant de ses quenottes claires. A quelques mètres de là, entre les fourrés et les troncs immenses des arbres séculaires, elle pouvait distinguer les pupilles flamboyantes et resplendissantes de son camarade d'infortune.
• Elwë! • L'animal, agile et rapide, transperça l'obscurité comme une flèche venant se planter aux pieds de sa protectrice, sa fourrure couleur argenté reflétant les gerbes d'étincelles lunaires ne rendait la scène que plus fantomatique.
Durant plusieurs minutes, la princesse insoumise et le loup docile n’esquissèrent le moindre mouvement, le moindre geste. Tout autour d'eux régnait une atmosphère d'un calme olympien et un même un soupir n'aurait osé troubler la gracieuse quiétude de ces lieux. Sur les prunelles limpides des deux comparses, dansaient les reflets spectraux de l'onde d'un lac; caché à la vue des yeux importuns. Eáránë sortait de sa rêverie alors que de doux glapissements résonnèrent et que, tout contre sa cuisse, le museau chaud et rassurant d'Elwë vint se coller; et aux travers de ses yeux couleur d'ambre, la jeune femme semblait y lire toute la reconnaissance et l'amour que cet animal lui portait. S'accroupissant face à lui, elle passa sa main sur le crane du canidé qui s'approcha d'elle; réclamant encore plus.
• Yosh, yosh... J'ai compris. Allons-y... • La princesse se redressa alors, tandis qu'à ses cotés le jeune loup jappait d'impatience. Elle releva les pans de sa robe imbibée, qu'elle coinça dans sa ceinture tant bien que mal et finit par glisser fébrilement ses pieds sur l'étendue obscure. Le contact du liquide glacial lui arracha un frisson qui parcourut son échine avec véhémence, mais les encouragements implicites de son acolyte ne lui firent pas renoncer. Une plainte silencieuse s'échappa de ses lèvres alors que les premiers rayons d'un soleil naissant arrivèrent sur le lac pour y déposer leur fin manteau de lumière. Ses mains commencèrent à se mouvoir, et la danse s'enchaina...
• Nous tendons certainement nos mains, essayant d'atteindre le ciel sans limite. Nos battements de cœurs se font échos car tu n'es plus seul. Dans cet endroit si lointain... • De fines gouttelettes tournaient autour de la jeune fille, dansant avec elle au rythme de son affable rengaine.
• Nous tendons certainement nos mains, en nous tournant vers les choses que nous ne pouvons perdre; et en nous arrêtant sur ces rêves étincelants... Vers cet endroit si lointain... •Un craquement sourd et sec retentit alors; mettant Elwë sur ses gardes; retroussant ses babines et faisant rauquer sa gorge en signe de méfiance. Eáránë accourut à ses cotés, le calmant d'un vif geste de la main. Elle se pencha alors prudemment et découvrit au travers des herbes buissonnantes, une silhouette.